Du samedi 02 décembre
au dimanche 3 décembre 2023

Quartier des Lentillères – Dijon

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Depuis 13 ans au Quartier libre des Lentillères, des terres maraîchères sont occupée, elles étaient menacées par un projet d’écoquartier, un parc de logements en béton qui n’a d’écologique que le nom.

Le quartier libre des Lentillères est né d’une manifestation en 2010, à Dijon, à l’issue de laquelle une centaine de personnes a défriché puis cultivé 8 hectares de terres à l’abandon menacées par la bétonisation. De là est né le Pot’Col’Le, une dynamique ouverte et collective de jardinage basée sur l’échange de savoirs. Le Jardin des Maraichères, géré de manière non salariée, permet d’alimenter des marchés hebdomadaires non lucratif à prix libre. À la croisée de ces deux grandes parcelles, s’entremêlent des dizaines de petits jardins familiaux. Au milieu de tout ça, des fermes occupées, une dynamique de construction de cabanes et d’entretien de lieux ouverts à tous et à toutes pour la promenade, pour des ateliers d’échanges de savoirs divers et variés, des concerts ou des fêtes atypiques.

Cependant en 2013, toutes ces dynamiques sont menacées : la SPLAAD (Société Publique Locale d’Aménagement de l’Agglomération Dijonnaise) et le Grand Dijon commence la première phase de construction sur la parcelle industrielle des anciens abattoirs. Mais le quartier libre des Lentillères continue de s’opposer aux travaux de la deuxième phase de construction. Contrairement à de nombreuses autres luttes, pendant des années elles et ils ne sont que très peu intéressé·es aux terrains juridique et administratif. Ainsi, lorsque la mairie lance l’enquête publique censée recueillir les avis des habitant·es de Dijon sur le projet, quelques usagèr·es du Quartier déposent tout de même des avis argumentés, mais aucun mouvement collectif ne porte la détermination de mener des recours en justice.

Depuis le début de l’occupation en 2010, le rapport de force avec la mairie s’est construit en cultivant les terres, en habitant le quartier de milles manières. Ces pratiques de lutte ont rythmé le quotidien du Quartier.

Une fois par mois, l’assemblée de quartier permet de discuter des usages collectifs et individuels des terres et de prendre des décisions ensemble au plus près du consensus. On y discute de comment on soigne les communs, des sous-bois aux tracteurs, de l’organisation de la prochaine fête aux conflits de voisinage, des problèmes d’eau à la construction et à l’entretien des lieux collectifs. On n’édicte aucune loi, on n’écrit pas de règlement intérieur ou de charte, chaque décision est prise collectivement après discussion et validation de l’assemblée, constamment renouvelée dans sa composition par le bal des absent·es et des présent·es. On garde des traces de ces décisions pour les partager, pour s’y référer dans les moments de discussions collectives, mais aussi parce que ces traces aident à comprendre comment le quartier évolue et se construit.

En 2017, une rumeur d’expulsion donne naissance à une deuxième assemblée mensuelle dédiée spécifiquement à la stratégie globale de lutte face à la mairie. Cette année-là, un groupe organise une semaine de la résistance, au cours de laquelle on manifeste à vélo, on discute de l’urbanisme, et on érige des murs de fourches et de roues tordues pour rendre plus difficile les interventions policières au sein du quartier.

Plusieurs rencontres vont alors mener différentes personnes à avoir envie de se pencher sur les questions juridiques. En septembre 2017, quelques personnes rencontrent des membres du groupe juridique de Bure, constitué pour lutter contre l’enfouissement de déchets nucléaires dans la Meuse. Cette rencontre donne naissance au groupe juridique des Lentillères en décembre.

Durant le cours de l’année 2018, beaucoup d’entre nous passons du temps à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes pour soutenir les habitant·es de la zone face aux expulsions mais aussi pour partager les différentes réflexions sur les possibilités de pérennisation des occupations suite à l’abandon du projet d’aéroport. Le parallèle avec l’avenir possible des Lentillères amène lentement un certain nombre d’usagèr·es du quartier à réfléchir aux cadres juridiques possibles. Les chercheurs, chercheuses et universitaires Vincent Balland, Serge Gutwirth, Isabelle Stengers et Sarah Vanuxem nous présentent leurs travaux et nous montrent que le droit n’est pas que notre ennemi, mais bien un terrain de bataille politique et philosophique.

 En novembre 2019, la phase 2 du projet d’écoquartier – celle qui menaçait les Lentillères – est abandonnée : François Rebsamen (maire de Dijon et président de la métropole) annonce qu’il renonce au projet et qu’il va interdire l’urbanisation des terres. Il annonce aussi qu’il expulsera celles et ceux qui « occupent de manière illégale ce terrain », et que « pourront rester, pour faire du maraichage urbain, ceux qui s’incriront pour avoir un bail ». En vérité, cela ne tient qu’à lui. Nous n’avons pas d’opposition de principe quant à une forme de régularisation.

Nous sommes alors fin décembre 2019, et nous annonçons le lancement d’un « grand chantier de réflexion collective autour de l’avenir du quartier ».

Cette brochure est une des pièces issues de ce chantier de réflexion. Elle présente la Zone d’Écologies Communale, une proposition juridique élaborée collectivement. On a parfois peur de créer un monstre, une vitrine écologique pour les métropoles. On a peur qu’un outil stratégique, la ZEC, devienne une réalité politique confortable qui nous distancie des luttes d’ailleurs. On a aussi peur de ne plus s’adresser qu’à des élites et de s’éloigner de nos camarades de toujours, de tomber amoureu·ses du pouvoir que nous donne le regard bienveillant des intellectuel·les qui nous soutiennent et de se rêver politicien·nes. Mais nous avons choisi malgré tout d’emprunter cette voie sinueuse, parce qu’une peur plus grande nous habite aussi : celle de perdre tout ce que nous avons construit depuis dix ans si nous ne cherchons pas un cadre légal pour ce territoire.